Beauté de cire

 

 

Un mannequin dans le grenier


      Une visite le mois dernier au musée Grèvin m'a rappelé le souvenir d'une lecture d'article que l'on pourrait qualifier de marquante, sinon tout du moins particulière. 


      Au début des années 1910, dans une commune cossue de la région parisienne, s'était installée la famille Pellegrand dont le patriarche avait fait l'acquisition d'un petit hôtel particulier envié de tout le voisinage. Maurice Pellegrand, homme froid et rigide, avait fait fortune dans le négoce de spiritueux et, se laissant porter par un succès fleurissant, avait acheté dans la pierre pour offrir aux siens un rang qu'il voulait le plus clinquant possible. Son épouse, Bernadette, n'avait pas mis longtemps avant de convier décorateurs et artisans afin de remodeler cette construction d'un autre âge en maison de riches bourgeois. Elle n'avait, pour ainsi dire, que faire du style et de l'esthétisme qui serait mis en œuvre tant que ses amis pouvaient lui jalouser ce petit château en devenir. Leur fille unique, la petite Angélique, était quant à elle une enfant qui portait bien mal son prénom. Colérique, capricieuse et constamment insatisfaite, elle avait été peu gâtée par Dame Nature tant par sa personnalité que par son physique inélégant. Aimant cribler les domestiques de demandes toutes plus puériles les unes que les autres elle n'hésitait pas à tyranniser les chiens de son père comme les roses de sa mère. Bêtises de son âge, comme le justifieront ses parents qui épongeaient à chaque fois l'ardoise des méfaits commis. Et lorsque les chiens et les roses n'étaient pas ses souffres-douleurs du moment, ce sont ses poupées de porcelaine qui se voyaient victimes d'atrocités qui révolteraient tout enfant normalement éduqué.

      Durant l'été, la petite Angélique s'était aventurée dans le grenier de la grande maison où elle espérait faire peur aux étourneaux qui aimaient y faire leurs nids. Un grenier poussiéreux, mal éclairé et témoin figé des activités de couture qu'il abrita par le passé, à en croire les machines à coudre, les patrons de cuir ainsi que les quelques pantins désarticulés qui étaient posés ça et là dans les recoins des combles. Un magnifique mannequin de femme était assis sur une chaise en bois, confortablement entreposé avec soin sur un coussin de velours foncé. Ce mannequin de cire à la peau parfaite et aux traits fins était d'une beauté gratifiante ainsi que d'un réalisme saisissant. Et sans conteste son propriétaire, ancien maître de cette maison, avait confectionné pour elle et avec talent une garde-robe de qualité dont les plus beaux atours, pliés et rangés dans une très belle valise de cuir clair aux armatures dorées, n'avaient pas manqué d'attiser la jalousie de la petite peste. La jeune fille déshabilla le mannequin, le laissant nu comme une mendiante sans le sou. Elle lui retira sa perruque pour la rabaisser davantage et alla même jusqu'à la brocarder du surnom peu élogieux de « tête de pomme » en référence à sa peau luisante à la flamme de la bougie, comme une jolie Golden jaune que l'on aurait frottée pour la faire briller.

       Ainsi, Angélique avait pour habitude régulière de venir rendre visite à tête de pomme en vue de la railler, la lever pour la coucher dans des positions inélégantes et lui voler les vêtements qu'on lui avait confectionnés avec un amour évident. Chaque venue de la petite fille se concluait par des insultes à sens unique qu'une enfant ne devrait jamais avoir à sortir de sa bouche. Elle s'était même amusée, un soir après avoir dérobé quelques maquillages à sa mère, à grimer le mannequin en une sorte de femme ridicule en plus de lui imposer une posture vulgaire. Si ce mannequin avait été aimé par le passé, sans nul doute qu'il n'attirait aujourd'hui que la haine grandissante d'une gamine aigrie. Gamine qui, le jour de ses treize ans et mise en colère par son père alors que celui-ci avait décidé de placer son enfant en pension en vue de parfaire son éducation, vomira le marasme de son âme mauvaise en infligeant, couteau à la main, une entaille sur la joue de son souffre-douleur captif et inerte.


Une dizaine d'années s'écoulera.


      À l'aube des années 1910, le journal local annoncera les fiançailles en grande pompe de Monsieur Auguste Bonjard, jeune homme de bonne famille, notaire déjà brillant dans sa catégorie et faisant l'honneur d'une étude renommée de Vincennes avec Mademoiselle Angélique Pellegrand, héritière unique de l'entreprise familiale après que ses parents aient bien malheureusement trouvé la mort dans un cambriolage qui avait mal tourné. Une nuit bien funeste le jour des treize ans de la petite Angélique qui a découvert avec effroi, comme elle le racontera une fois adulte, les corps de ses parents, tous deux étranglés sur leur lit. Depuis cet événement, l'enfant n'avait plus fait parler d'elle et sa propre famille ne put la retrouver avant sa majorité où elle réapparut pour revendiquer l'héritage familial. Elle est désormais devenue une demoiselle magnifique, élégante, aux gestes raffinés et attentionnés. Une jolie jeune femme aux cheveux soyeux qui attire les regards et les prétendants. Un ange au visage fin que l'adolescence a, selon toute vraisemblance, transformé physiquement et moralement.


      Quelques mois après le mariage richement organisé, l'ancienne maison particulière de la famille Pellegrand, inoccupée depuis le drame, sera rasée. De lourds travaux de démolition seront mis en œuvre au cours desquels sera excavée des gravas une très belle valise de cuir clair aux armatures dorées. Les ouvriers, poussés par la curiosité et sans doute par l'opportunisme également, ouvriront celle-ci pour tomber sur la bien macabre découverte d'un squelette. L'équipe de médecine légale identifiera très rapidement les restes d'un individu féminin, âgé d'à peine treize ans.

      Bien entendu, la police voulut immédiatement entendre Madame Angélique Bonjard, née Pellegrand, pour tenter de comprendre la présence de ce squelette enfermé dans une valise au sein même de la maison familiale. Mais le couple de jeunes mariés s'était déjà embarqué à bord du Flying York, paquebot reliant Brest à New York, dans le but, dit-on, de consulter les meilleurs chirurgiens et de permettre à la magnifique épouse de faire disparaître une vilaine entaille sur la joue gauche. Seule tâche à sa superbe plastique.



Baz Arnkell


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