Limace anxieuse
Les jardins sont fascinants. De tout temps et tout au long de l'année ils nous proposent de voir, pour qui sait observer avec attention et patience, une multitude de variétés végétales et animales. Le propre du naturaliste, du (crypto)zoologue et plus largement du simple curieux est de savoir observer attentivement toute chose y compris parmi les plus insignifiantes et les plus anodines. Un brin d'herbe pour celui ou celle qui sait regarder avec soin peut constituer en réalité la seule partie visible de l'iceberg d'un énorme noeud tentaculaire de jeunes racines, véritable plante exotique et sauvage en devenir. Un simple caillou, lui aussi, devrait toujours émouvoir le cœur des observateurs poètes qui ne peuvent que songer devant un aussi petit élément aux millions d'années qui ont été nécessaires pour l'enfanter.
Et que dire de nos amis du jardin vers de terre, escargots et autres limaces. Les limaces sont pour moi un sujet d'étude très poussée. Dire que les jardiniers du dimanche les considèrent comme nuisibles. Pourtant ces petits animaux aussi lents que dotés d'une puissance musculaire épatante représentent systématiquement à mes yeux une animation exaltante. D'une part parce qu'ils sortent les jours de pluie. Si l'on écoute les discussions d'entrées d'immeubles on comprend rapidement que la plupart des gens préfèrent le soleil aux journées de grisaille. Pourtant les jours de pluie, surtout lorsque les gouttent nous semblent claquer le sol telle une sulfateuse aux munitions inépuisables, me sont toujours des plus agréables. C'est vrai que je n'aime pas le soleil ni la chaleur. Je devrais rajouter que je préfère la nuit au jour tant que j'y suis. C'est d'ailleurs ici un concours de circonstance puisque les limaces également ont une préférence pour la vie nocturne, plus fraîche et plus tranquille que le jour. Surtout concernant la limacea anxiosus que l'on appelle communément (pour les spécialistes) et sous nos latitudes la « limace anxieuse ». Cette variété que l'on peut croiser facilement dans tout type de jardin et dans à peu près tous les pays d'Europe occidentale n'est pourtant reconnue que des initiés. Et pour cause. Limacea anxiosus est une catégorie anxieuse à l'extrême, craintive et affublée de la peur quasi permanente d'être vue par d'éventuels prédateurs. De taille moyenne dès le plus jeune âge et devenant rapidement une belle limace pouvant atteindre facilement les douze ou quinze centimètres de long, elle ne quittera ses cachettes régulières uniquement que sous certaines conditions. Le temps humide en est une. La nuit tombante en est une autre. Un calme absolu est certainement la plus importante d'entre elles. Les limaces ressentant très bien, à l'instar des serpents, les vibrations qu'un être humain pourrait occasionner sur le sol en marchant à côté d'elle.
La limace anxieuse ne se laisse donc jamais approcher. Sitôt un éventuel danger sera ressenti par les sens de cet invertébré « fantôme » qu'il rejoindra par reptation tout endroit où il serait impossible de le débusquer. Sous le sol, derrière une pierre ou bien encore devenu invisible par mimétisme posé sur un tas d'herbes fraîchement coupées. Limacea anxiosus est de ce fait très rare à observer. Si rare que les ouvrages dédiés au jardinage ou bien à la zoologie classique omettent ouvertement de décrire ce fascinant petit « monstre » des jardins qui affectionne tant nos salades ainsi que toutes plantes d'extérieur à feuilles larges.
Pour ma part, bien qu'ayant choisi d'établir l'un de mes lieux d'études privilégiés dans mon petit jardin, je n'ai pas la chance d'avoir croisé cette race de limaces. Ou plus exactement je ne l'ai jamais observée, quelle soit présente ou non à proximité de mes plantations farfelues et obscures. Mais Lazare de Mesclin mentionne longuement au fil des pages 134 à 137 de son fabuleux « Sous terre et sous l'eau » les observations qu'il a pu faire d'un spécimen qu'il avait capturé dans son potager en 1885 dans les Vosges.
D'une part, le spécialiste avait réuni les meilleurs conditions. Une terre constamment arrosée pour rester zone favorable y compris aux abords d'un été qui s'annonçait chaud. Il avait ensuite disposé ça et là des plantation idéales à feuilles larges attirant très rapidement tout type de mollusques. De Mesclin avait eu l'idée originale de placer quelques bouteilles de verre pour créer cachettes et habitat à ce petit monde. Sachant les limaces abondantes il s'est armé de patience et la curiosité l'a poussé jusqu'à installer l'un de ses Chesterfields à même l'herbe pour rester des heures confortablement assis sans bouger et sans faire la moindre vibration.
Lazarre De Mesclin évoque ce soir de juillet 1885 où, après un rapide souper pris sur le pouce, il s'installa dans son fauteuil devenu mobilier de jardin et passa le coucher du soleil à scruter le sol. La nuit tombante sera effectivement favorable à contempler les escargots et les limaces venues sucer à cœur joie ses plantations laissées à disposition en guise de restaurant gratuit. Vers 21h30 (De Mesclin précise mettre un point d'honneur à conserver une heure exacte sur sa montre gousset) il observa une limace, un gros modèle, symptomatique de la variété tant recherchée. Une limace d'au moins dix bons centimètres de long. Assez ventrue. Au dos d'aspect granuleux comme la peau d'un crocodile mais au ventre jaune moutarde. Un animal lent, calme dont les yeux situés au bout de chaque antenne semble scruter la scène toute entière. La limace s'est ensuite dirigée à sa vitesse de croisière vers le feuillage d'un épinard. Un gros modèle d'épinard planté il y a plus de sept mois et que le cryptozoologue avait volontairement arrosé plus que de raison afin d'en faire un met de choix pour les petits habitants du jardin. Lazare de Mesclin raconte ensuite avoir saisi un bocal qu'il tenait à proximité à ses pieds pour capturer le spécimen. Suite à quoi, limacea anxiosus s'est tortillée dans tous les sens, s'est recroquevillée pour se détendre de tout son long avant de se contracter de nouveau pour se détendre encore et ainsi de suite dans une sorte de danse hideuse et baveuse. La peau granuleuse s'est rapidement modifiée, laissant les volumes dorsaux devenir des cornes pointues qui bientôt ont habillé intégralement le dos de l'animal. Une transformation de défense jusque là jamais observée chez une limace. Malgré la pénombre le spécialiste à noté que le dos de l'animal déjà foncé de base s'est noirci comme le charbon. Il a rapporté le bocal en intérieur afin de mieux éclairer sa prise de chasse. De Mesclin à esquissé quelques dessins pour immortaliser sa rencontre et illustrer ses écrits. Au bout d'une heure, voyant la limace encore très agitée et revêtant toujours son « armure » dorsale, il pris parti de la relâcher sur le tapis du salon. « Une belle erreur » écrira t'il dans son ouvrage quelques années plus tard ! La limace une fois libre s'est mise à faire des bonds de trente centimètres au dessus du sol. Une véritable puce insaisissable. Le naturaliste s'est retrouvé à quatre pattes, tentant de l'attraper sans la blesser en joignant ses deux mains en cloche. Mais limacea anxiosus dont la mobilité semble dans les moments de peur lui conférer les capacités d'une anguille est restée libre jusqu'à finir l'un de ses surprenant sauts dans le fond d'un vase premier empire sur lequel De Mesclin à de suite placer un libre pour en bloquer la sortie.
Scientifique dans l'âme mais grand amoureux de la nature dans le cœur, il a relâché la très rare limace dans son potager. Resta la bave dans l'intérieur du vase et sur le tapis qui furent les semaines suivantes sujet d'étude au microscope.
Enfin, sachez chers lecteurs que le livre qui servi à obstruer le vase affichait les stigmates du dos cornu de la limace qui, en sautant, avait entamé le cuir de l'ouvrage. Une mise en garde donc à tout un chacun qui souhaiterait à la lecture de ces lignes tenter de capturer l'un de ces petits animaux de jardin. Si par chance pour arriviez à en croiser un, il prendra peur et le toucher ne vous apportera que de vous faire sévèrement piquer.
De Mesclin ne mentionne aucun poison retrouvé sur le livre. Mais... Qui sait.
Baz Arnkell
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