Main dans la main

 




      Durant l'année 2011, alors que j'étais rédacteur en faune et flore parallèle pour le magazine Vie Etrange, un message fort intéressant m'avait été relayé dans le courrier des lecteurs (preuve s'il en fallait que nous avions un lectorat, si ça ce n'est pas un phénomène inexpliqué !). Une certaine Huguette avait tenu à décrire dans son message une bien singulière expérience qui faisait parfaitement écho avec l'un de mes articles fraîchement publié. Cette charmante retraitée, habitant une petite maison reculée avec son mari Claude, m'avait dépeint une certaine nuit de l'année passée comme suit.


Huguette et Claude organisaient leurs soirées comme du papier à musique. Sitôt qu'ils s'étaient brossé les dentiers après le souper ils rejoignaient leur chambre et en bon couple heureux ils avaient pour habitude de s'endormir main dans la main sous un drap de satin. Main dans la main, une position qui parfois pouvait rester parfaitement inchangée jusqu'au lendemain matin (chose impossible pour moi qui m'agite comme un diable chaque nuit). Et si jamais Huguette se réveillait avant le lever du jour et que Claude semblait avoir bougé pendant son sommeil elle n'hésitait pas, en épouse attentionnée, à lui remettre le drap jusqu'aux épaules avant de glisser de nouveau sa main dans dans la sienne. 

Mais la fameuse nuit qui a fait l'objet de son courrier s'était passée quelque peu différemment. Huguette avait été extirpée de son sommeil par quelques mouvements sur le matelas. Imaginant son mari s'être levé pour aller aux toilettes elle se rendit très vite compte que la main de son époux était néanmoins toujours presente dans la sienne. Après quelques secondes passées sans bouger le temps que son esprit s'éveille correctement et que ses yeux s'ouvrent elle eu le réflexe de regarder si le drap était bien positionné sur les épaules de Claude. Mais point de mari dans le lit conjugal. Huguette était bel et bien seule sur le matelas. Pourtant elle sentait sous le drap la main de son conjoint dans la sienne... Et quand, interloquée, elle souleva le drap elle découvrit en poussant un hurlement d'horreur qu'elle tenait une main, seulement une main. Un membre constitué de doigts, d'une paume, d'un poignet mais rattaché à aucun corps. La main s'extirpa brusquement de celle de Huguette avant de courir comme une araignée en se tenant « debout » sur ses phalanges. Claude qui s'était levé pour aller aux toilettes accouru dans la chambre après avoir entendu sa femme hurler et la découvrit en état de choc, sanglotant dans le lit, incapable sur l'instant de placer correctement un mot après l'autre.


Le récit de notre chère retraitée m'a d'abord fait sourire. Puis, par professionnalisme sans doute, j'ai voulu m'appliquer à lui répondre en détails. Il me semblait opportun de la rassurer d'autant plus que cette expérience aussi effrayante qu'elle puisse paraître est a priori sans aucun danger.

Huguette a ici rencontré ce que l'on appelle communément une Vivace. De son nom complet « Main Vivace » (Perennis Manus), la Vivace est le fruit d'un phénomène étrange, rare également et qui consiste à voir une main humaine devenir parfaitement autonome après avoir été séparée de son corps d'origine. Les premiers témoignages relatés mentionnant la Vivace datent de l'antiquité. Epoque où la justice romaine, aux lois qui nous sembleraient douteuses aujourd'hui, punissait les voleurs en leur tranchant le membre par lequel ils commettaient leurs méfaits. Ces mains ainsi coupées nettes par le glaive étaient jetées dans une fosse commune où elles nourrissaient les vers avec les déchets de la communauté. Toutefois, à l'instar des anguilles dont le corps continue de bouger quelques instants alors qu'on vient de lui trancher le chef, la main humaine peut développer dans certains cas et sous des conditions favorables une étrange capacité de survie. Elle peut en effet échapper à la putréfaction et pour peu que ses doigts les lui permettent elle peut également se mouvoir librement.

Les récits témoignant de rencontres avec une Vivace ne sont pas fréquents mais sans doute pas aussi rares que nous pourrions le penser. D'ailleurs la télévision et en particulier la franchise La Famille Adams à travers le personnage de La Chose fera usage à sa façon de ce phénomène considéré à tort comme purement légendaire.

Bien entendu je conviens qu'une main vivante détachée de tout corps puisse sembler pure légende folklorique. J'en appelle donc au fabuleux ouvrage encyclopédique Sous terre et sous l'eau de Lazare De Mesclin qui en 1926 va établir ce qui constitue encore aujourd'hui la description anatomique la plus précise de ce qu'est une vivace. Et l'homme de science avait de bonnes raisons de comprendre un tel phénomène puisqu'il en avait capturée puis apprivoisée l'une d'entre elles.

De Mesclin raconte ainsi « L'étonnante capacité du membre humain à échapper à la mort après avoir été séparé de son corps. Mais des conditions strictes sont nécessaires pour qu'une main puisse vivre et gagner l'autonomie qui caractérise la Vivace. Dans un premier temps, la main doit être tranchée avec netteté. Volontairement ou accidentellement, cela n'a aucune importance. La plaie doit être la plus nette possible pour minimiser les risques d'infection et donc de gangrène et de putréfaction. Si la main ne pourrie pas par la plaie, elle développera rapidement un petit système cardiovasculaire à la condition que le sang du moignon ait vite coagulé afin d'éviter une hémorragie fatale dès les premières heures. Un petit cœur, situé à la base de la paume, près de l'articulation du poignet, se développera de la même manière que planter un morceau de rhizome de bambou dans la terre voit des racines se former. Enfin, après quelques jours à rester inerte la Vivace commencera à se mouvoir et entamera sa nouvelle existence, loin de son corps d'origine. Si ses doigts sont assez vigoureux elle pourra courir voire effectuer de petits sauts. Une Vivace se nourrie par les pores de la peau en consommant une faible mais nécessaire quantité d'oxygène présente dans l'air ambiant. Mais aussi en se roulant dans la rosée du matin présente sur l'herbe ou les végétaux. La Vivace dort mais sans cohérence réelle entre le jour ou la nuit. Elle cherche néanmoins à se reposer dans les endroits les plus calmes et cachés possibles afin d'éviter tout prédateur. Car mis à part ses ongles, elle n'est pas faite pour se battre serait-ce pour sa survie."

La Vivace est d'ailleurs un être craintif d'ordinaire. De Mesclin note néanmoins qu'elle conserve les habitudes qui étaient les siennes lorsqu'elle était rattachée à un corps. En outre, la main d'une jeune femme embourgeoisée appréciant se vernir les ongles fera une Vivace coquette aimant se glisser dans un gant raffiné. La main baladeuse d'un obsédé sexuel fera une Vivace au comportement pervers et lubrique, passant ses doigts là où la pudeur l'interdit. Enfin, celle d'un criminel, a fortiori d'un homme ayant étranglé à mains nues, fera une vivace au comportement dérangé et potentiellement extrêmement dangereux.


La conclusion de ma réponse apportée au message de Huguette fût que d'après moi la Vivace qui s'était glissée dans le lit conjugal durant la courte absence de son mari était en mal d'affection. Elle devait sans doute se cacher depuis des semaines voire des mois dans la maison sans jamais se faire remarquer puis à fini, par excès de confiance sans nul doute, par franchir le pas et tenter un premier contact. J'ai conseillé au couple de l'amadouer amicalement en déposant dans une assiette posée à même le sol un onguent gras ou bien une crème nourrissante pour peaux sensibles. De quoi lui plaire et l'inviter à un comportement serein. A l'image d'un chat égaré, une Vivace peut être un animal de compagnie facile à adopter et à apprivoiser.

J'en ai une chez moi depuis quatre ans et après de premiers mois quelque peu délicats le quotidien a pris bon chemin. Mon expérience personnelle attendra un prochain post dédié à ce sujet d'ailleurs. 


Baz Arnkell

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